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Artiste(s) : Marc Oncins
Galerie des Cyprès, Villa Arson, Nice
14 avril - 7 mai 1995
Vernissage le 13 avril à 18 heures
D’une manière générale je ne m’explique sur rien. Surtout pas. Dès qu’une analyse pointe le bout du nez, dès que plane la menace d’une introspection, je freine des quatre fers. L’intelligence est diablement déboussolante lorsqu’elle est décidée à vivre ainsi rétractée, mise au point mort une bonne fois pour toutes, lorsqu’elle s’acharne à rester aveugle et, accessoirement, muette.
Je ne pense pas être un crétin, une pauvre buse poussée sur le devant d’une scène beaucoup trop grande pour elle. Je suis simplement assez perspicace pour comprendre que l’art est aussi un bon moyen de ne plus se casser la tête. Je n’aime pas du tout me sonder, analyser tout ce que je fais. Je préfère ne pas savoir. Je ne comprends pas le besoin de tout décortiquer, je refuse de me prendre au sérieux.
Je me pose donc en virtuose du silence ou, pire encore, de la parole morne, inhabitée, blanche. Pour résister à l’action érosive du questionnement, j’oppose un visage rechigné, un débit cotonneux. Chacune de mes réponses commence par un « Je ne sais pas » de principe, rassurante mécanique utilisée sans exception (« Quel âge as-tu ? Je ne sais pas… 30 ans. ») : la sécurité du flou et du n’importe quoi, systématiquement déployée contre les autres et surtout contre moi-même.
Scènes_série « Tous les plaisirs de la sincérité »
Pourquoi se faire des illusions ? Je suis vraiment un sombre voyou, une petite frappe psychopathe et ce n’est pas par romantisme rebelle. Je vole, j’arnaque, je cambriole et j’escroque par cupidité. Il n’y a jamais eu d’hypocrisie chez moi. Revendre une voiture volée ou faire carrière dans l’art, c’est du même ordre.
« Avant je me payais un chiffon à cent balles à La Redoute et aujourd’hui je peux me payer des vestes à cinq mille francs. J’ai besoin de jolies fringues. C’est important. » Voilà pour la conscience sociale.
Scènes_série « Anything goes / Just do it / Don’t do it »
On dit de moi que je suis un acteur, étrange et dangereux, protégé par cette folie qui croupit au fond de mes petits yeux - une folie dont on ignore si elle est feinte, mais dont on se convainc très vite qu’elle n’est pas comique. Je suis peut-être un comédien sardonique, drôle, certainement pas. J’excelle dans le rôle du méchant con. L’expo dont je suis l’invité prend alors l’allure d’un tournoi moyenâgeux. Duel du méchant contre le gentil. L’artiste / Le curator : qui désarçonnera l’autre ? La bouffonnerie contre l’affabilité. La harpie contre le tapis.
Le curator a un avantage : il invite. Mais j’ai retourné immédiatement cet atout en ma faveur en arrivant en slip de bain. Si je suis là, à moitié à poil, devant l’autre robot à sourire, en costume cravate, c’est que je suis chez moi non ?
« Apportez-moi du thé, des biscuits ? » Je l’exige, en me carrant dans le canapé, avec l’exécrable assurance d’un Monsieur Bonsoir profitant de la lâcheté et de la cupidité de ses hôtes, dégueulant de cruauté mentale comme l’autre bave de gentillesse et de compliments showbiz. On dirait l’étrange combat d’un porc et d’un escargot. Une exposition de boue et de bave, un raz de marée de sécrétions gluantes entre deux compliments.
Ça part donc plutôt bien quand on franchit un cap dans l’ignominie : je crache mes biscuits visqueux, puis mon thé rance, à la face du curator et enfin, du spectateur. Puis un autre quand ces derniers rient de cette bonne blague de vieillard. Ha-Ha-Ha ! Hi-Hi-Hi ! Est-il drôle. Arrêtez quand même mon cher.
Le geste, pourtant, n’est pas gratuit. Il s’agit pour moi de dire : je suis là mais je déteste ça. Ainsi peut-on prédire qu’à l’avenir, de moins en moins d’artistes supporteront de venir faire une expo sans s’accorder le petit plaisir d’en humilier, avec plus ou moins de grandeur, le curator. Mais l’on pressent aussi que celui-ci intégrera de plus en plus l’impolitesse foncière de ses invités non comme un signe de sa déchéance mais comme la preuve ultime de son succès.
Scènes_série « Anything goes / Just do it / Don’t do it »
Je suis au centre de tant de légendes qu’on ne sait plus très bien si je suis encore vivant. Tissée de rumeurs, mon image ressemble à une éternelle partie de cache-cache avec une réalité qui ne mérite que l’hommage de l’absence. Égaré parmi toutes ces petites histoires, je ressemble pour finir à une pure abstraction mathématique, un modèle formel dont on ne peut à bon droit douter de la tangibilité.
Scènes_série « Tous les plaisirs de la sincérité »
Marc Oncins