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Artiste(s) : John M Armleder | Michel Aubry | Robert Barry | Pascal Broccolichi | Lars Fredrikson | Liam Gillick | Jérôme Joy | Richard Kongrosian | Ludovic Lignon | Maurizio Nannucci | Kristin Oppenheim | José Antonio Orts | Erik Samakh | Isabelle Sordage | Nathalie Talec
Villa Arson, Nice
8 juillet - 1er octobre 1995
En raison du caractère particulier de l’exposition, celle-ci ne comportera pas de vernissage.
Là, le son
À peine formulée, l’idée de proposer une exposition consacrée au son dans les arts plastiques manifeste sa part d’ombre : ou bien le son est à considérer comme un genre à part entière, même s’il est l’un des derniers venus sur la scène artistique, et l’on ne voit pas alors en quoi une telle exposition serait un projet par rapport, par exemple, à une manifestation qui aurait comme objet la peinture ou la sculpture ; ou bien le son n’est pas un genre vraiment, au moment où cette notion même de genre est menacée d’obsolescence, et l’on ne voit pas pourquoi il faudrait lui consacrer une exposition. C’est pour avoir traversé ces doutes et donc abordé le rivage de quelques-unes des réponses possibles que cette exposition a lieu.
Les premières réponses ont visé l’idée d’un constat : la manifestation n’aura pas pour objet d’esquisser les rudiments d’une histoire ou d’une théorie, mais de proposer une coupe lisible dans le désordre du présent.
On pourra en conséquence y être témoin de l’accouchement du son hors du ventre de sa mère naturelle, la musique, à travers une sélection de plus de cent vingt pièces de Zona Archives, réalisée sous la responsabilité de Maurizio Nannucci, et qui parcourt plus de cinquante années d’une histoire fortement marquée entre autres par Fluxus.
On pourra entendre, avec le programme Stoppage réalisé par Liam Gillick en coproduction avec le C.C.C. de Tours, une série de pièces originées par différents artistes qui constituera la section Aperto de l’exposition et révélera la fertilité de travaux qui expriment directement ou indirectement la créativité de plasticiens utilisant la bande son. On expérimentera l’importance de l’engagement du son pour sa matérialité plastique, dans les travaux d’artistes dont l’origine se situe pour l’essentiel dans le champ de la peinture ou de la sculpture, ou en réaction par rapport à lui. Une section Murmures sera ouverte à quatre jeunes créateurs plus récemment arrivés sur la scène artistique. Enfin, sous le titre Evoking the aural - Évoquer l’auditif, Max Neuhaus exposera cinquante deux dessins retraçant près de trente ans de projets et de réalisations consacrés au son.
Nous avons d’abord trouvé cette base suffisante pour nous risquer au voyage. Très vite cependant une Jeanne, comme à l’oreille du Blaise Cendrars du Transsibérien, gémit à notre propre oreille : « Dis, sommes-nous bien loin de l’exposition ? » Et il fut plus clair alors que le son pouvait dans les arts plastiques être vu comme la typographie dans l’écriture : le lieu le plus distant des modalités ordinaires du sens, mais pour cette raison précisément, pour l’attention particulière qui est alors requise, un moyen de faire porter sur le matériau la condition même des significations engagées. Ainsi l’exposition demeurait cohérente lorsqu’on lui prêtait pour intention de parcourir les formes de l’écoute hors des habitudes de la musique : lire avec les oreilles, et donc avec les lunettes du casque, la compilation de Maurizio Nannucci ; subir l’autorité de la programmation de Liam Gillick mais entendre paradoxalement de l’intérieur son extrême empathie pour les artistes qui sont la source du travail qu’il présente ; prêter l’oreille au silence de la pièce de John M. Armleder ; contempler la sonorité de la présentation plastique de Michel Aubry ; être surpris tout en traversant l’espace, par la voix de Kristin Oppenheim et se laisser séduire par les délicatesses de sa mise en jeu ; porter dans sa main la pièce de Jérôme Joy en attendant, plus tard, l’opportunité de l’entendre ; revenir, Entre chien et loup, ouïr avec la proposition d’Erik Samakh, l’heure mais aussi le jour et la saison, comme au pied de la lettre ; être voyeur du dialogue sans syntaxe de Robert Barry ; habiter les installations de Richard Kongrosian ; téléphoner l’écoute du travail d’Éric Maillet ; réapprendre debout, à superposer le langage et le locuteur dans la salle occupée par Nathalie Talec ; percevoir avec l’ensemble de son corps en déplacement dans l’espace les fréquences de Lars Fredrikson ; se laisser convaincre par les plaidoiries de Pascal Broccolichi ; écouter les lumières, ou si l’on préfère être ébloui par les sons, de Ludovic Lignon ; se pencher sur l’autonomie discrète des robots sonores de José Antonio Orts ; ou encore interférer dans le substrat sonore d’Isabelle Sordage : autant d’attitudes induites par les artistes au cœur même du comportement du visiteur… Voir enfin, avec les dessins écrits de Max Neuhaus, près de trente ans d’imagination du son dans l’espace.
Et avec le concept d’espace une troisième clé se faisait jour, justifiant l’exposition de l’interrogation des relations de l’art à son lieu propre, de l’exploration des aptitudes du son à mettre en jeu non seulement l’espace physique dans lequel il est produit, mais toutes ses déclinaisons sensorielles et sémantiques : espace sensible, espace social, espace culturel, espace politique. C’était là le la, pour s’amuser de ce jeu de mot, la référence d’un accord, mais aussi bien de toutes les disharmonies possibles du lieu de l’art aux distances et aux questionnements qu’il héberge, l’espérance d’un vrai plaisir du visiteur à mesurer tous les espaces, physiques ou culturels autour de lui en fermant ici et là les yeux. C’était là la leçon.
Jean-Philippe Vienne