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Une mise en scène du réel : artiste/acteur : communiqué de presse

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Artiste(s) : Laetitia Benat | Marie-José Burki | Jordi Colomer | Rineke Dijkstra | Philippe Durand | Ugo Rondinone | Alain Séchas | Sam Taylor-Wood | Uri Tzaig

Villa Arson, Nice
2 juillet - 15 octobre 2000

Vernissage le 1er juillet à 18 heures


Une mise en scène du réel : artiste / acteur constitue la deuxième partie du cycle d’expositions Action, on tourne, dont le titre, s’il rappelle les relations de la Côte d’Azur avec l’industrie cinématographique (les Studios de la Victorine, le festival de Cannes et plus largement « l’effet cinéma », produit du climat général et qui rejaillit autant sur les comportements que sur les ambiances…), n’institue cependant ni programme (sinon celui d’un engagement dans la durée), ni thématique. Il propose plutôt de porter un regard transversal sur les pratiques contemporaines de l’exposition, de les confronter, par analogies, à certains modèles, mécanismes ou moments singuliers du décorum cinématographique.
Les œuvres présentées jouent cette fois de manières variées avec les potentialités, les lieux communs ou les impasses du récit et des modalités de la représentation cinématographique. La plupart des artistes ici présents utilisent la projection vidéo, sans pour autant se complaire dans l’imitation du cinéma ; les dispositifs mis en place entretiennent souvent, de par leur frontalité et la manière dont ils occupent l’espace d’exposition, des rapports indéniables avec la forme-tableau, la peinture, parfois la sculpture. Cette « mise en scène du réel », dont parle le titre, doit s’entendre, non pas comme relevant d’une volonté documentariste, mais comme l’instauration d’une zone de libre-échange entre fiction et expérience, dans laquelle l’artiste / acteur s’applique à recréer l’illusion d’une cohérence (autre et neuve) du monde.
L’illusion, cependant, n’est jamais là pour berner. Elle invite, au contraire, à la mesure d’un écart, à une prise de distance avec la réalité. Les neuf artistes invités (chacun à sa manière) interrogent le contexte social et la validité de ce contexte. Ils n’hésitent pas, pour cela, à se confronter avec ce qui, de notre Réalité, produit toute la complexité : le rapport à l’Autre. Que cet Autre soit mis en demeure de s’exprimer (Rineke Dijkstra, Laetitia Bénat), mis en forme par le jeu (Jordi Colomer, Alain Séchas, Uri Tzaig), mis en péril ou en crise (Sam Taylor-Wood,
Ugo Rondinone, Marie-José Burki, Philippe Durand). Car ce qui s’offre au regardeur, avant tout, à travers ces travaux, c’est l’opportunité d’une prise de parole ; un commentaire sur les choses et sur les gens ; comment construire, par le biais de la fiction et de la surenchère, des moments de lucidité.

Les vidéos de Jordi Colomer gardent sans doute une trace de sa formation à l’architecture. Elles déploient tout à la fois et dans un même mouvement (de caméra), la spatialité symbolique d’un récit et celle d’un décor ; des acteurs choisis soigneusement (ils sont souvent, dans la réalité, proches de ce qu’ils jouent) évoluent au sein d’un espace artificiel, largement factice, où la dramaturgie se trouve cristallisée sur des objets de transfert ; « Simo » et ses boîtes accumulées, « Pianito » et son piano poussiéreux en carton, la ville falsifiée d’« A, B, C », etc. Jordi Colomer attache beaucoup d’importance, par ailleurs, à mettre en scène ses vidéos dans l’espace de leur monstration et utilise souvent, pour cela, des éléments et des ambiances extraits de ses films.

Rineke Dijkstra est principalement reconnue pour ses portraits photographiques. Adolescents sur les plages du monde entier ou dans les clubs, jeunes mères, matadors, ses sujets, choisis au gré des circonstances, sont à chaque fois plus ou moins photographiés de la même manière ; le fond est sobre à l’extrême, le sourire jamais de rigueur, la pose, bien que sans contrainte, présente toujours le modèle dans une frontalité rigoureuse. Ce naturalisme radical se retrouve également à l’œuvre dans ses vidéos de jeunes gens en discothèque. Mais plutôt que de faire le portrait d’individus, Rineke Dijkstra cherche, sans psychologisme, à rendre la substance, l’intensité d’un moment transitoire ; quand le regard dérape sur l’imperméabilité de l’autre.

La figure du clown n’est qu’un des multiples rôles qu’assume (ou fait assumer) Ugo Rondinone, mais c’est aussi et sans doute celui qui détermine tous les autres, en dernière instance ; celui de ce personnage intermédiaire, qui va et vient sans cesse entre le camp du public et celui des artistes, sans nulle part s’établir. Il n’est jamais complètement peintre, mannequin, photographe, vidéaste ou dessinateur mais applique plutôt ses propres recettes et trucages inédits aux devoirs conventionnels du « faire-artiste ». Clowns décevants, peintures abstraites irréprochables, paysages à l’encre de Chine, son, lumière, autoportraits… L’œuvre d’Ugo Rondinone répond, par son déploiement calculé et son mutisme obstiné, aux exigences narratives de l’époque.

Laetita Bénat met en scène ses proches, dans un univers familier où se télescopent images de l’ordinaire, du désœuvrement, de l’adolescence, références cinématographiques et chansons banales. Ses photographies, à l’instar de ses vidéos, confrontent de manière elliptique des bribes de narrations potentielles, souvent empreintes d’une violence contenue ; « Indian Summer », où trois jeunes filles coexistent, s’ignorent, se déchirent ou s’apprécient, sans
beaucoup de paroles, dans une succession de scènes variant les angles de vue ; « Sans Titre », vidéo-installation muette, méditation à genoux pour téléviseur pivoté. Rien n’est jamais totalement révélé d’une intention ; subsidiairement, Laetitia Bénat photographie aussi la mode.

Philippe Durand confronte, dans (et par) ses photographies, espace public et espace privé, et cherche à montrer comment les deux notions s’interpénètrent. C’est le réel, « mis en spectacle » par lui-même, qui motive nombre de ses clichés et traverse des œuvres comme les « Années Nonante » (portraits de la belgitude), « Enjoy, Brain Multiple Edition, Santa Monica » (11 images de villas hollywoodiennes sur 11 tasses), « Still Life Armed Response » (signalétique dissuasive des villas de la bourgeoisie californienne) ou « Parc » (images du parc Catalunya de Sabadell). Chaque série, subordonnée à un dispositif de monstration précis (image en relief, toile sur châssis, autocollant, support publicitaire…), se trouve ainsi mise en examen et dé-réalisée par le truchement de son objectivation.

Il y a, chez Sam Taylor-Wood, une dimension théâtrale très forte. Le spectateur n’est jamais devant ses œuvres comme au cinéma. Il participe de (en même temps qu’il autorise) la construction d’un espace de représentation. Il est, par exemple, le point central (imaginaire) autour de quoi se développent les complexes mises en scène de la série de photographies panoramiques « Five Revolutionnary Seconds », dans lesquelles des groupes humains, bien que partageant un même lieu, s’adonnent à des occupations variées et étanches. De la même manière, les films « Sustaining the Crisis », « Travesty of a Mockery » ou encore « Atlantic » installent (physiquement) le regardeur au cœur de la projection d’une situation de crise, de perturbation ou de tension profonde.

Si l’œuvre singulière d’Alain Séchas se nourrit de stéréotypes, voire d’emprunts à la culture populaire, elle n’est en rien, cependant, déterminée par le ready-made. Sculpteur, dessinateur ou réalisateur, Alain Séchas revendique le premier degré et cherche surtout à « sidérer » le spectateur et c’est aussi bien dans le monumental que dans le presque rien qu’il y parvient. L’ensemble de sa production est toute entière traversée par le souci d’une sorte de sécheresse plastique, non dénuée de sensualité ; la matérialité de l’œuvre disparaît au profit de l’efficacité formelle et narrative. Mais sous l’évidence de la forme, ses installations concentrent en un même point du temps et de l’espace tout un lacis de récits potentiels.

Marie-José Burki utilise depuis plusieurs années la vidéo-projection dans des installations très rigoureuses et dépouillées, d’où toute narration est généralement évacuée. Ses vidéos dévoilent et questionnent des structures, des modèles comportementaux, refusant toute approche subjective et - tout pathos. Les oiseaux en cage (« Intérieur »), les prostituées derrière leur vitrine (« Exposure : Dawn ») ou encore ce chien bâtard, qui écoute la litanie des races de son espèce, dont aucune, pourtant, ne parvient à le désigner (« Les Chiens ») ; ces films n’illustrent rien, ne sont surtout pas des allégories ; ils proposent diverses expériences de l’aliénation, de la frustration, de la réification, mais se gardent de proposer une morale autre que celle de l’évidence.

Uri Tzaig, à travers ses installations, ses vidéos ou ses publications, invente, développe et met en crise des systèmes qui, souvent sous forme de jeu, s’inspirent de réalités sociales et organisationnelles. La dimension ludique n’est cependant jamais traitée sous l’angle de la distraction. Déréglée, c’est-à-dire exemptée du commun de la règle, elle gagne en tension et force tout d’abord les protagonistes (spectateurs de ses installations, danseurs du film « Infinity » (1998), footballeurs et basketteurs invités à jouer avec deux ballons à la fois dans les vidéos « The Universel Square » et « Desert » (1997) ou joueurs sans objectif de « Carpet » (1998)) à questionner la notion d’altérité, tout comme leur propre identité, avant de ré-inventer les comportements qui vont avec.

Maxime Matray