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Scène de la vie conjugale : communiqué de presse

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Artiste(s) : Richard Billingham | Anne Brégeaut | Brice Dellsperger | Christelle Familiari | Nan Goldin | Florence Paradeis | Ann-Sofi Sidén | Eulàlia Valldosera Collectif(s) d'artistes : Teresa Hubbard / Alexander Birchler

Villa Arson, Nice
25 novembre 2000 - 25 février 2001

Vernissage le 24 novembre à 18 heures


Scène de la vie conjugale constitue la troisième partie du cycle d’expositions Action, on tourne dont le titre, s’il rappelle les relations de la Côte d’Azur avec l’industrie cinématographique (les Studios de la Victorine, le festival de Cannes, et plus largement « l’effet cinéma », produit du climat général et qui rejaillit autant sur les comportements que sur les ambiances…), n’institue cependant ni programme (sinon celui d’un engagement dans la durée), ni thématique. Il propose plutôt de porter un regard transversal sur les pratiques contemporaines de l’exposition, de les confronter, par analogies, à certains modèles, mécanismes ou moments singuliers du décorum cinématographique.

Scène de la vie conjugale ou : comment ça se passe dans ce huis clos de la sphère privée, dans ce paradis de l’intime, dans cet enfer du domestique. À l’heure où l’espace privé se voit menacé dans son autonomie par l’expansion de l’activité économique. À l’ère de l’information, où rien de ce qui vous est le plus secret ne nous est inconnu. À l’âge de l’accès, qui est aussi celui du triomphe du panoptique, les relations particulières sauront-elles résister à la marchandisation des corps et des sentiments ?
Il semble bien que ce domaine obscur, qui n’est pas épargné par l’affrontement et la négociation (entre deux accalmies de félicité), s’affirme comme le dernier rempart de résistance à la violence symbolique exercée de façon coercitive par les forces conjuguées des rouleaux compresseurs des pouvoirs et des industries.
La vie conjugale, ce n’est pas seulement la question de la famille et de la filiation - ni même de la « vie maritale » - mais, bien plus certainement, c’est le lieu du rapport à l’Autre, qui ne saurait être réductible à une prétendue différenciation sexuelle. Donc : couple, mariage,
famille, mais aussi et tout autant PACS, compagnonnage, fiançailles, aventure, passade, amitié, communauté, copinage, à 2 ou 3 (voire plus si affinités).
Exposer une « scène de la vie conjugale », ce serait réinventer des représentations du quotidien entendu comme expérience de la relation, du rapport - foncièrement politique et jamais banal. Soit : faire de la maison une seconde peau (Eulàlia Valldosera). Réinventer des modes de dialogue, en pervertissant le cliché des « ouvrages pour dame » (Christelle Familiari). Se livrer à une folie douce et transgressive (Ann-Sofi Sidén). Envisager la maison comme lieu de l’inquiétante étrangeté et de l’impossible solitude (Teresa Hubbard & Alexander Birchler). Rejouer la répartition des rôles au sein du couple (Florence Paradeis). Réinventer les identités, au-delà des genres (Brice Dellsperger). Se replier sur la communauté familiale (Richard Billingham) ou amicale (Nan Goldin), en assumant cette confusion de faire de sa vie, une œuvre. Rêver au bonheur, tout en le sachant impossible, mais y rêver quand même (tout en le trouvant ennuyeux…) (Anne Brégeaut).

Depuis plusieurs années déjà, Richard Billingham photographie et filme ses parents et frère dans le cadre de leur vie domestique, dans un logement à loyer bon marché. Les commentaires sociologiques (bien souvent déplacés) de ces images sans concession en disent long sur le déficit de représentation des couches non aisées de la société occidentale - autant dans la communication médiatique que dans la sphère de l’art. Mais ce qui est souvent omis à propos du travail salutaire de Richard Billingham, c’est qu’il s’agit avant tout de photos de famille, chargées d’affect.

Avec une ascèse de moyens, Anne Brégeaut évoque la douce violence de la parade amoureuse. Avec ses dessins, vidéos, polaroïds, Kleenex gaufrés, elle poursuit la recherche de ce « je-ne-sais-quoi » qui unit deux êtres, en fouillant les secrets domestiques comme si tout s’accomplissait là, dans ces petits riens de la vie matérielle. Ses œuvres fragiles comme le désir suggèrent une aptitude à éviter l’affrontement direct pour aménager le quotidien, le rendre possible. Les petites phrases qu’elle distille, écrites avec une vraie-fausse application enfantine, disent toute la subtilité du rapport de force dans la relation amoureuse : « Et qu’est-ce qui se passe entre vous ? Rien, et c’est déjà assez compliqué. »

En choisissant pour figure tutélaire Brian de Palma, dont le cinéma maniériste, traversé par la pulsion scopique, a mené à la perfection l’acte de réinterprétation, Brice Dellsperger a fait sien le principe du remake. Il a commencé par réaliser des reprises de scènes de films tels, que Blow Out ou Pulsions, en créant son propre univers, globalement travesti. « Les scènes racontent des histoires de famille, d’affect, et de systèmes (rapports de force). » Avec Body Double X, il propose une reprise de L’important c’est d’aimer de Andrzej Zulawski, avec pour unique interprète, dans tous les rôles, Jean-Luc Verna. S’il est question dans le film original d’amour et de haine, de déchéance et de rédemption, sa reprise basse-définition ajoute à ces thèmes une perturbation radicale de l’identité, dans une version schizo-transgenre.

Le désir et la communication par le plaisir sont au centre du travail de Christelle Familiari. Ses performances, vidéos et objets en maille tricotée remettent en jeu la notion d’expérience sexuelle. Quand bien même ses récentes installations, réalisées en crochet, démontrent que le cadre conceptuel du travail et plus largement celui du comportement, ses Portique et Siège biplace, en proposant des situations inédites de contact intime, prennent des formes vaguement sexuées. Christelle Familiari les conçoit comme « espaces de négociation : il faut s’asseoir et faire son trou en tenant compte de la place de l’autre. »

Au cœur de l’œuvre de Nan Goldin, gigantesque journal intime photographique enregistrant sans complaisance les effets de la contre-culture américaine des années 70, se trouve The Ballad of Sexual Dependency. Au cours de ce diaporama sonorisé assemblant plus de 700 images, parmi les portraits des proches de Nan Goldin, ainsi que ses autoportraits, apparaît son amie Cookie Muller, écrivaine et critique. Le Cookie Muller Portfolio retrace en quelques images les années d’amitié partagée, enregistrant la poursuite du bonheur et l’expérience de la perte. La forme ténue de ce récit rend compte sobrement des liens entretenus par Cookie Muller avec son fils, son mari, son amante et la photographe (autant de couples), au fil d’un temps compté.

La maison est présente dans les premiers travaux de Teresa Hubbard & Alexander Birchler, au début des années 90, sous la forme maquettaire de la niche à oiseaux. Autant dire un habitat précaire, fragile abri provisoire. Dans leurs photographies et vidéos récentes, il n’est plus besoin de métaphore ; et c’est l’être humain, solitaire, qui est représenté dans l’environnement a priori protecteur d’un intérieur domestique. Très précisément construites, ces saynètes décrivent autant de moments kafkaïens, où la source de l’angoisse étreignant le personnage est toujours hors champ. Contrariant et satisfaisant tout à la fois le voyeurisme du spectateur, la série Holes présente des fragments de corps vus depuis des cavités pratiquées dans les cloisons d’appartements ou de chambres d’hôtel. Cadres internes à l’image, autorisant des plans cinématographiques, ces trous mettent en péril le mur protecteur du domicile.

Des temps morts, des moments insignifiants, des gestes anodins : les photographies de Florence Paradeis semblent enregistrer la vie ordinaire de gens moyens. Il suffirait pourtant qu’un accident infime survienne, comme dans un film de Hal Hartley, pour que le cours tranquille de ces jours bascule. Tout est, en effet, absolument mis en scène dans les images de Florence Paradeis quand bien même ses modèles appartiennent le plus souvent à sa sphère familiale et amicale. « Mes images sont les photogrammes d’un film dont je fais l’économie mais dont elles se souviennent. Elles peuvent être vues comme des champs/contrechamps, des arrêts sur image, des ellipses ; elles doivent tant au cinéma qu’elles peuvent se passer de son mouvement. »

Queen of Mud : la « reine de la boue » est présente dès les premiers travaux de Ann-Sofi Sidén, à la fin des années 1980. Sorte de double borderline de l’artiste, ce personnage régressif jouant la nature contre la culture, apparaît d’abord lors de performances jusqu’au récent et magistral film QM, I think I call her QM. Paranoïa et dérèglement du comportement atteignent la psychiatre new-yorkaise chez qui cet être primitif, nu et recouvert de boue, apparaît mystérieusement comme un catalyseur de sa psyché dérangée. Surveillance et claustrophobie se retrouvent dans l’installation Who told the chambermaid ?, où une situation de panoptique installé dans un hôtel est offerte au voyeurisme et à la curiosité du spectateur, par l’entremise de moniteurs de contrôle jouxtant les réserves de papier hygiénique. Chacune des propositions de Ann-Sofi Sidén touche aux questions les plus essentielles, et dérangeantes, de la vie psychique.

Eulàlia Valldosera a tout d’abord utilisé son propre corps comme point de départ de son travail. Par l’acte photographique, elle procède alors à la fusion du corps féminin avec les objets et l’architecture de la maison. « De là est née l’idée d’une seconde peau, qui était une maison. Je me suis alors intéressée à la maison et aux objets très banals. » Avec Vessels : the cult to the mother, en usant des conventions de l’ombre et de la lumière, elle réalise des installations au dispositif très simple qui projettent le profil de bouteilles de liquide vaisselle ou de lessive pour figurer l’image vibratile du corps maternel. La phase suivante de son travail consiste à réaliser des séries de prises de vues avec des acteurs, pour représenter tout l’éventail des relations humaines. Relationships montre « les relations acceptées ou acceptables par convention et les relations latentes et implicites. » Il s’agit ici de jouer les actes de l’intime, tels que jamais habituellement ils ne s’avouent.

Pascal Beausse