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La répétition, la tête dans les nuages : communiqué de presse

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Artiste(s) : Melanie Counsell | Ceal Floyer | Ann Veronica Janssens | Bertrand Lamarche | Ernesto Neto | Hugues Reip | Adrian Schiess | Roman Signer | Craig Wood

Villa Arson, Nice
7 avril - 4 juin 2000

Vernissage le 6 avril à 18 heures


La répétition, la tête dans les nuages constitue le premier volet d’un cycle d’expositions regroupées sous le titre-générique : Action, on tourne. Si ce titre fait référence aux rapports que de tout temps la Côte d’Azur entretint avec l’industrie cinématographique (les Studios de la Victorine, le festival de Cannes, et plus largement « l’effet cinéma », produit du climat général et qui rejaillit autant sur les comportements que sur les ambiances…), il n’institue cependant ni programme (sinon celui d’un engagement dans la durée), ni thématique. Il propose plutôt de porter un regard transversal sur les pratiques contemporaines de l’exposition, de les confronter, par analogies, à certains modèles, dispositifs ou moments singuliers du protocole cinématographique.
La « répétition », comme approche dynamique du réel, établit le principe autour de quoi s’articule l’opus premier de ce cycle. Elle est, d’ordinaire, ce temps indéterminé qui sépare le texte de la représentation, l’intention de l’exécution, et pendant lequel se trament et se nouent les modalités de l’expression. La « répétition » est essentiellement un processus de transformation. La « tête dans les nuages » invite, en complément, à une certaine disponibilité du regard, une fluidité de la pensée, un état de recherche permanent.
Les œuvres des neuf artistes de cette exposition prennent en compte, avant toute autre chose, les possibilités et les spécificités du lieu ou du contexte qu’elles occupent. Chacun, à sa manière, travaille à établir un dialogue avec son environnement, qu’il soit culturel, architectural, géographique, ou social.

La plupart des œuvres de Melanie Counsell, artiste britannique, s’attachent à recomposer l’espace architectural, à réorganiser les perceptions du spectateur. Les procédés les plus divers (son, modulations de climat, humidité, parois, transparences…) participent de ses arrangements complexes. Parfois, au fil de leur exposition, les œuvres se transforment, s’altèrent ou se décomposent, sous l’action conjointe du temps et des corruptions naturelles (par exemple le ruissellement, la corrosion dans ses premiers travaux), mais aussi par le truchement de variations de l’éclairage naturel ou de parasitages infimes, conférant alors à l’atmosphère tout entière une épaisseur nouvelle.

Ceal Floyer est britannique et les occurrences de son travail savent être ténues. Sans pour autant confiner à l’invisible, beaucoup de ses interventions nécessitent que le regard du spectateur apprenne à faire plus attention. Il arrive parfois qu’un rai de lumière sous une porte, ou que cet interrupteur sur le mur ne soient que des images sorties d’un panier de diapositives. Il arrive parfois qu’une de ces pastilles autocollantes rouges, sur le mur, à côté d’un tableau, et qui signale qu’une transaction a eu lieu, ne soit rien moins qu’un trou percé dans le plâtre et rempli de rouge à lèvres. Les œuvres de Ceal Floyer refusent tout à la fois la dérive spectaculaire et le pur illusionnisme.

Ann Veronica Janssens est une artiste belge. Ses interventions, très clairement marquées au coin de l’art minimal, participent le plus souvent d’une volonté de déconstruction effective de l’espace d’exposition. Elle utilise les matériaux de l’industrie du bâtiment, dégagés de tout affect symbolique (parpaing, verre, miroir, aluminium…). Chaque installation, quelle que soit son échelle, tend vers une même volonté de bouleverser les habitudes de la vision, d’activer des circulations entre l’intérieur et l’extérieur. Qu’elle empile, par exemple, plusieurs feuilles de verre sur le rebord d’une fenêtre, au bord du canal, à Venise (Casa Frollo, 1988), qu’elle reprenne, à un mètre des parois, le périmètre de la salle d’exposition (Mol, 1987) ou que, par la dispersion d’un gaz, elle modifie la luminosité et l’humidité d’un lieu (Venise, 1998).

Les pièces que conçoit Bertrand Lamarche sont le fruit d’une approche tout à la fois obsessionnelle et cartésienne. Chaque série s’inscrit dans un champ et un cadre expérimental précis, au sein de quoi les projets se succèdent, les uns répondant aux nécessités des autres et vice-versa. Il fabrique non pas des objets, mais des processus modulaires. L’intérêt tout autant formel que conceptuel que Bertrand Lamarche manifeste pour les « tourbillons » ou les « vortex » trouve ainsi son application dans les travaux récents : ses dispositifs « multimédia », d’une élégance insoupçonnable, produisent des effets d’ambiance et d’immersion totale, des phénomènes surprenants par le biais de matériaux et d’appareils domestiques.

Ernesto Neto est d’origine brésilienne. Il réalise des volumes, habillés de maille de lycra et que déforment divers matériaux et points de suspension et de tension ; ses pièces empruntent leur forme autant à l’organique qu’au cosmologique. Ces sacs ouverts, remplis de poudres colorées, de pigments ou d’épices, ces masses élastiques lâchées ici ou là, ne ressortissent cependant pas uniquement à la catégorie de la sculpture. Les objets d’Ernesto Neto semblent souvent occuper une scène de théâtre. Ils confrontent leurs tensions, leurs repos, les contrariétés et les contradictions de leurs formes, minutieusement placées, ou bien déterminées comme par accident. Le parfum que parfois dégagent certaines épices fait le reste.

L’œuvre d’Hugues Reip est essentiellement une praxis, c’est-à-dire une situation d’échanges permanents entre l’artiste et son environnement, l’un transformant l’autre au fil de l’exercice vice-versa. Ses accumulations d’objets anodins, ses montages de carton chantourné, ses dessins de fragments architecturaux grattés sur diapositives, ses sculptures de poche, ses maquettes, posent (de manière pragmatique autant que symbolique) que l’art est ce réel qui s’inscrit dans un lieu et détermine autant un territoire qu’une histoire. Il joue ainsi avec les échelles les plus diverses, du micro assemblage à l’échafaudage, et avec les effets dramatiques. Comme dans cette vidéo, d’une pièce blanche, vide, et silencieuse dont un pan de mur, s’effondrant bruyamment, se révèle n’être qu’une toile, tendue sur châssis.

Adrian Schiess est un artiste d’origine suisse. Depuis de nombreuses années, ses travaux sont exposés au sol, à plat, comme déposés là, sur des tasseaux, souvent. Ces travaux sont éminemment de la peinture, bien sûr, des « monochromes » qui plus est, mais pas des tableaux stricto sensu. Ils participent d’une réflexion (au propre comme au figuré) sur le paysage, et sur les rapports que l’œuvre entretient avec ce qui l’entoure. Les peintures d’Adrien Schiess, comme la tôle peinte d’une automobile neuve, reflètent leur environnement immédiat, en accentuent la profondeur. Mais elles en modifient aussi, en retour, les qualités, par le truchement de la couleur et de ses variations.

Roman Signer, comme un auteur, s’attache à construire et tendre une situation dramatique avec le plus grand soin, emploie son art et son temps à organiser avec minutie d’improbables rencontres et réactions. Son monde est un monde instrumentalisé à l’excès, dans lequel les objets (et lui-même, en tant que super-objet, souvent en péril) jouent tous les rôles. Il met en scène la gravité, le feu, l’eau, les réactions chimiques. Chacune de ses expérimentations constitue en soi un mini-récit, déterministe à défaut d’être moral, unique, et qui se déploie, après qu’il a été vécu, sous toutes ses coutures, confrontant dans un même temps et un même lieu (celui de l’exposition) les causes, les conséquences, les indices et les traces photographiques de ce qui a été, de ce qui est et de ce qui pourrait encore advenir.

Craig Wood, vit et travaille en Écosse. Il a utilisé pendant longtemps des sacs de polyéthylène remplis d’eau, colorée ou non, en général disposés au sol, épousant les reliefs de l’endroit et en soulignant les détails. Parfois très expansifs, il arrivait qu’ils en interdisent purement et simplement l’accès. Craig Wood semble apporter un soin tout particulier à garantir la fragilité extrême de ses réalisations, dans ses installations, mais également dans ses minutieux dessins, sur PVC de grand format, de silhouettes d’objets manufacturés, standardisés et essentiellement non biodégradables. Dans ses travaux les plus récents, il s’attache plus spécialement à décoder la mémoire des lieux, des objets et de leurs traces, en une manière d’archéologie « in-advance ».

Ce premier épisode, on l’aura compris, cherche plus à révéler des processus, des déséquilibres dynamiques, qu’à montrer des objets d’art.
Glissez, mortels, n’accrochez rien.

Maxime Matray