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Artiste(s) : Pascal Broccolichi
Galerie de l'École, Villa Arson, Nice
14 avril - 7 mai 1995
Vernissage le 13 avril à 18 heures
La toute première chose à dire est que Pascal Broccolichi dessine avec des cheveux, ses propres cheveux, et aussi des poils, ses poils.
Qu'il dessine des ornements, des nuages ou des paysages, il propose au dessin des motifs que le cheveu et le poil approchent, des traits jamais réellement tracés que le matériau mime, désigne, met à nu comme la pilosité est paradoxalement le signe de la nudité du sexe qu'elle voile, le cheveu l'enveloppe mouvante de l'immobilité du crâne ; moins un trait comme l'est le tracé du crayon qu'un trait d'esprit, une pousse hors du crâne, une ligne douée de résistance. De là la présence du dessin, non pas sa transparence dans la représentation de son objet, mais son encombrante matérialité, un reste qui résisterait à la téléologie du projet, par exemple, d'une représentation.
Le dessin de Pascal Broccolichi se nourrit, se fait des cheveux qui le composent, du scandale pileux qui s'y affiche avec une étrange discrétion. Il n'est jamais achevé que de la décision de l'artiste de le proposer au mur à ce moment-là, de l'exmurer, de le sortir d'affaire, de le sauver des murs, du ghetto qui le guette. Ce sont des dessins fragiles, qu'ils soient risqués à l'air du monde, à cru sur les murs qui les exposent, ou préservés pour un temps, par la pellicule de brillance qui en mesure le format d'origine, qui dessine comme avec la lumière la feuille de papier sur le dessin, sur le motif.
Ainsi les motifs de Pascal Broccolichi s'énoncent-ils sur les blancs des murs, mesurant avec précaution leurs stances et leurs distances, la ténuité infiniment délicate de leur inachèvement. Ainsi les motifs des bandes sonores s'énoncent-ils sur le silence qui les isole et les révèle à la fois, un silence construit de la présence des lieux neutralisés quand tout s'y tait, comme le blanc des murs des cimaises est construit de la matière de leur surface, du grain de leur pouvoir*.
La relation du corps même de l'artiste au corps social, symboliquement de l'individu qui s'en échappe au groupe qui le justifie, est ici totalement lisible, de loin dans la somptuosité des ornements et des paysages, dans l'exactitude des nuages, de près dans l'approximation de la réalisation des modèles, dans l'à-peu-près des symétries, la vitale correction que le biologique persiste à imposer au concept.
Une éthique est déroulée dans le lit de cet écart, comme des paysages sont dits et perdus dans l'artifice de la surface de certains marbres sciés dans l'intimité de leur ventre, comme quelques poils et cheveux avortent un dessin à jamais inconnu sur l'émail de la baignoire, comme là-bas, là-bas les merveilleux nuages, comme le motif décoratif nie le comme et, quand il n'est pas justifié de sa perfection, quand sa matérialité résiste à sa fin, profère le dessin même, celui qui au-delà de l'analogie, ainsi que nous, résiste, un temps, à mourir.
Jean-Philippe Vienne
* Pascal Broccolichi s'exprime aussi avec le son, notamment la matérialité des silences qui séparent les motifs de plaidoiries prononcées absolument, sans autre objet qu'elles-mêmes, dans le plus simple constat d'une parole en ruine.