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Artiste(s) : Kirsten Mosher
Galerie de la Villa, Villa Arson, Nice
21 janvier - 20 mars 1994
Vernissage le 20 janvier à 18 heures
Les barrières sont des objets généralement empruntés à la ville et elles devront être rendues un jour ou bien devenir des dépôts définitifs de celle-ci. Au début dans mon travail avec ce mobilier urbain je privilégiais l’aspect antinationaliste. Il s’agissait surtout de dénoncer les frontières qui séparent les pays, les états ou même les villes. À présent cet élément est atténué et j’insiste sur le fait que la barrière n’est pas un sujet pour moi, mais un élément de connexion. Je voudrais que la barrière telle que je la présente, trouée en son centre, remplace le sentiment de séparation par une notion d’unification de l’environnement dans lequel elle se situe.
À mon avis, il est sans intérêt de parler de l’art environnemental comme d’une description de l’environnement qui n’engloberait aucun aspect politique. L’art environnemental est toujours un art politique et inversement.
J’ai travaillé avec les barrières à New York où elles sont sur un support de bois, ce qui les rend différentes des barrières européennes. Les petites différences entre les mêmes objets, en des lieux différents, est un facteur qui me préoccupe beaucoup. Ces mêmes barrières sont également utilisées dans l’industrie. Ceci m’amène à ce qui m’intéresse le plus dans ces objets, à savoir, qu’ils font aller de pair un usage industriel et un usage politique.
En outre, la barrière est un symbole psychologique d’une grande force parce que sa vue empêche les gens instinctivement de la franchir, bien qu’il ne s’agisse que de quelques morceaux de bois dénués de sens. Je souhaite par-dessus tout destituer un système qui a été si bien mis en œuvre qu’il fait quasiment office de loi. La vue des barrières vous fait absolument croire qu’elles fonctionnent comme telles, quoiqu’elles puissent être aisément franchies. L’idée de franchissement et de détournement de la barrière est en effet accompagnée du sentiment d’avoir violé une propriété de l’État. Là se situe à mes yeux toute l’importance du fait que ces objets sont empruntés et ne m’appartiennent pas.
La notion de propriété est une préoccupation essentielle dans mon travail. La terre entière est une propriété. Les éléments que sont le temps, mais aussi l’espace, tournent autour de l’idée que la terre est une propriété. Nos notions du temps et de l’espace sont, en effet, définies en termes économiques.
Kirsten Mosher
10 points de repère
1. Barrière :
Interdit psychologique très fort, la barrière est un élément de canalisation de la circulation et de la foule. Chez Kirsten Mosher, elle est systématiquement découpée en son centre ce qui devrait en faciliter le franchissement. Positionnée à l’entrée de la Villa Arson (Nice, janvier 1994) à la place du portail, elle essaie de se mimétiser de façon subversive à la grille préexistante et singe le rôle de clôture. En milieu institutionnel, elle est installée avec un geste minimum. À Nice, la jeune artiste new-yorkaise range soigneusement ses barrières dans un angle de la Galerie de la Villa (Loophole Barriers) en les encastrant les unes dans les autres ainsi que le fait le service d’ordre dans les rues à la fin d’une manifestation. La percée circulaire dans cette épaisseur métallique crée un intéressant jeu optique.
2. Mobilier urbain :
Au-delà des barrières métalliques, il s’agit aussi des bandes blanches de signalisation routière situées au sol, des îlots de verdure aux carrefours des routes, des parcmètres et des places de parking. Le mobilier urbain divise et ordonne l’espace public. Il a pour qualité d’être atypique et constitue l’essentiel du vocabulaire de Kirsten Mosher.
3. Notion de propriété :
Lorsqu’elle détourne ces éléments de marquage du territoire urbain, l’artiste touche à l’espace dit public. Chacune de ses interventions nécessite une série de démarches complexes et parfois infructueuses auprès de la municipalité. Tout le travail de Kirsten Mosher vise à démanteler cette notion de propriété inaliénable attribuée à la voie publique. Avec Top Soil Nations (Aperto, XLVe Biennale de Venise, 1993) Kirsten Mosher pousse un peu plus loin ce concept en collectant, étiquetant et distribuant des sachets de terre provenant de différents pays : « La terre a tendance à voyager clandestinement et innocemment comme la boue sur les lacets des chaussures, sur les roues des automobiles et comme la poussière dans les revers des pantalons, en se masquant comme les frontières qui se dissolvent dans la poussière* ».
4. Parcours :
Avec ses passages cloutés et autres indications au sol et en élévation, la ville se présente comme un vaste parcours fléché. Dans une intervention in situ à l’extérieur de la Villa Arson (Detox Detour), Kirsten Mosher propose un parcours circulaire en reliant les bandes blanches d’un carrefour entre elles. Le regardeur ayant retrouvé son statut de piéton fait un tour de trottoir pour rien, comme s’il avait oublié quelque chose en route. L’aspect rédhibitoire de ce parcours accentue l’impression de contrainte que peut susciter la signalétique urbaine. La notion de propriété d’un bien commun est une absurdité, le parcours créé par l’artiste se doit de l’être aussi.
5. Repérages :
Les vidéos de Kirsten Mosher portent un regard scrupuleux sur les espaces urbains les plus insignifiants. Dans Median Strip Tease (1991), l’artiste propose un parcours piétonnier inhabituel. La caméra à la main, elle filme au gré de son pas un espace vert intermédiaire divisant en deux une voie rapide. Parcouru en son centre, cet espace perdu devient une interminable ligne minimale. Reprenant le principe de repérage déjà effectué dans All the trees in Washington Square Park (1992) où elle filmait un à un les troncs d’arbres d’un parc, Kirsten Mosher filme les chiens dessinés sur les trottoirs autour d’un îlot dans le quartier de la Villa Arson. Un chien, le caniveau, et ainsi de suite, très vite, dans la volonté de créer un rythme saccadé, voire sexuel.
6. La ville dessinée :
Depuis longtemps Kirsten Mosher réfléchit à ses interventions dans et sur le tissu urbain en dessinant. Montrés pour la première fois à la Villa Arson, ses dessins sur papier calque au graphite, au feutre et à la gouache, tiennent de la bande dessinée. Comme dans un univers de science-fiction, ils développent tout un espace virtuel. Les arbres sont systématiquement montrés dans un rapport spéculaire à leurs racines blanches qui affleurent sous l’asphalte, de même que les constructions quadrangulaires - où l’on semble reconnaître les stéréotypes de l’Amérique urbaine - se prolongent en deçà du sol.
7. L’espace virtuel :
L’idée d’un espace virtuel était déjà en germe dans le travail de Kirsten Mosher lorsqu’elle focalisait son attention sur les espaces urbains inutilisés tels que les îlots de verdure qui visent uniquement à séparer plusieurs voies. Les projets dessinés procèdent aussi d’un espace fictif et, à une plus grande échelle, on peut considérer la ville entière comme une aire de jeu possible où le parcours serait ponctué d’indications diverses et variées. Pour la couverture de son livre d’artiste réalisé à la Villa Arson, Kirsten Mosher expérimente l’image infographique. Le motif du chien niçois parcourt le labyrinthe de la ville dans lequel tout peut arriver, y compris la rencontre avec un danger imminent. Dans les jeux vidéo, on est souvent menacé par des mines, ici, des merdes de chiens. L’intervention, boulevard Cessole à Nice, apparaît alors comme un piège dans lequel on serait enfermé et duquel il faudrait s’échapper. Si tu marches en dehors d’une bande blanche, tu tombes dans le vide.
8. Nature / Urbanisme :
Il n’y a pas dans le travail de Kirsten Mosher la volonté d’établir une distinction entre nature et urbanisation. C’est un regard plutôt poétique que Kirsten Mosher pose sur la nature rare et architecturée de la ville. Le rapport horizontal de l’artiste au sol réaffirme très fortement et très simplement l’existence de l’espace urbain pour lui-même. Nature Pace (1990), une vidéo filmée avec une caméra endommagée produisant un grand vacarme tendait à montrer que l’on peut aussi être pris d’un sentiment de claustrophobie ailleurs que dans la métropole, en l’occurrence dans un bois. Parking Space Raft (1993), une place de parking installée sur un radeau au large d’un lac canadien, réalise la synthèse du dilemme nature/culture. La propriété de l’espace urbain, concept absurde comme l’idée d’une place de parking au milieu de nulle part, s’en va ainsi à la dérive. La notion de parcours est ici transformée en nomadisme (De Mark Twain jusqu’aux homeless de l’Amérique d’aujourd’hui).
9. La nature des images :
Les images de Kirsten Mosher expérimentent des techniques cheap. La caméra pour enfant donne un gros grain à l’image de la vidéo pouvant aller jusqu’au brouillage. De par sa transparence et sa précarité, le papier calque des dessins pose un problème de lisibilité des formes en même tant qu’il est un support commun pour les projets d’urbanisme. Enfin le polaroid utilisé pour son livre d’artiste donne à la réalité urbaine du projet de l’artiste plus de prégnance, en même tant qu’il rejoue toute une culture pop tempérant ainsi un travail que l’on a trop souvent qualifié de conceptuel.
10. Recyclage :
La réflexion de Kirsten Mosher sur l’espace urbain pose inévitablement le problème de la pollution. En 1991, elle présente chez Pat Hearn, à New York une gaine d’évacuation des ordures (Gutting Cycle) qui sort de la fenêtre de la galerie, descend de deux étages et remonte soudainement par une autre fenêtre dans l’espace d’exposition. S’il ne s’agit pas là à proprement parler de recyclage, on a tout de même affaire à un dispositif comportant une anomalie. Dans le même ordre d’idée Kirsten Mosher assemble des couvercles de poubelles entre eux (Toxic Mutant Trash Can) obtenant ainsi un curieux objet qui aurait subi une mutation. Toujours ce côté science-fiction.
Catherine Macchi
*Kirsten Mosher, in Flash Art International, Special Aperto’93, mai 1993.