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La pièce d'à côté : communiqué de presse

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Artiste(s) : Pascal Pinaud

Galerie de la Villa, Galerie des Cyprès, Villa Arson, Nice
20 janvier - 19 mars 1995

Vernissage le 19 janvier à 18 heures


La pièce d’à côté une exposition de Pascal Pinaud en trois actes et quelques tableaux

Les personnages :

Piet, Andy, Noël, John et Sylvie, Georg et quelques autres.
Special guest star : Marcel.


Si vous avez manqué le début :

La peinture est morte. Du moins celle qui fonctionne en vase clos et se figure encore autonome. Mais quelques peintres subsistent, qui mettent à distance les modalités traditionnelles de la peinture pour expérimenter de nouveaux moyens techniques capables d’ouvrir des perspectives au tableau. Pascal Pinaud est de ceux-là. Pour lui, le tableau est avant tout une table. C’est pourquoi il lui confère de l’épaisseur, quelques dix centimètres de profil. Redonner de la consistance à la peinture en lui faisant côtoyer tous les styles et en la confrontant à des domaines limitrophes afin de créer des situations, tel est son engagement.
La pièce d’à côté est une réflexion sur le statut de la peinture aujourd’hui. On appelle pièce toute œuvre d’art, un peu comme si le qualificatif de peinture était devenu indésirable. Ainsi, une pièce (l’œuvre) est située dans une pièce (la chambre). Et le contenu de rétrocéder à la vacuité du contenant. Pour Pascal Pinaud, la pièce d’à côté est d’abord le cabinet dans lequel le dessin est relégué et depuis lequel toute l’exposition prend sa source…


I. Le cabinet de dessins ou l’antichambre de la peinture :

John M Armleder les aurait tous accrochés au mur, Pascal Pinaud les a mis au placard. Ces dessins fixés horizontalement sur les tablettes coulissantes d’un meuble expressément construit à cet effet, sont les projets des œuvres de l’exposition et de celles qui n’y figurent pas pour des questions de place et de choix. Il ne tient plus qu’au regardeur de ressortir les dessins du placard (oui, vous qui marchez, feuille en main !) en les tirant doucement vers lui pour retrouver l’intimité du contact avec une œuvre graphique. Bien sûr, cette bibliothèque est un étrange catalogue, voué en partie à l’échec - un de ceux qui auraient fait frémir les lecteurs si Serge Brussolo l’avait décrit - car ses rayons les plus hauts ne permettent pas la consultation. À peine clairsemé de tablettes, cet inquiétant dispositif, qui pourrait présenter des dessins supplémentaires, apparaît plus fortement que les œuvres mêmes et met l’accent sur la notion de mobilier développée par l’artiste, notamment dans des projets de tapis ou de moquettes. Le cabinet de dessins annonce l’acte deuxième et l’acte troisième : le tableau en tant que meuble dans la pièce.

II. La salle d’apparat ou le bal des peintures :

Attention peinture fraîche ! Toutes ces peintures sans peinture, mais qui ne sont pas sans éclat et qui ne font que parler de La Peinture, sont le fruit d’une recherche récente. Qui pourrait croire que ces tableaux, plus différents les uns des autres, sont l’œuvre d’un seul et même artiste ? C’est que Pascal Pinaud se range uniquement sous le signe de l’éclectisme. Pour emprunter une expression contemporaine, on pourrait dire que Pascal Pinaud est un peintre « shuffle » dont le travail, toujours imprévisible, oscille globalement entre deux directions longtemps considérées comme incompatibles : l’abstraction et la figuration. Pris au jeu du langage, dans cette luxueuse salle des peintures, le visiteur passe d’une pièce à l’autre, la pièce d’à côté démentant souvent la précédente et celle d’après encore rappelant la première. Tant et si bien que les tableaux auraient pu être accrochés dans un ordre différent, comme ils auraient pu être remplacés par d’autres peintures restées en réserve. Nous sommes dans un système de différences équivalentes. Tout y passe, chaque tableau est susceptible d’évoquer une réalité actuelle ou passée de l’histoire de la peinture ou de celle, plus modeste, de la décoration. C’est donc dans un système de correspondances et de circulation des œuvres que l’artiste entrevoit une issue au problème de la peinture. Et si la vie ne veut pas entrer dans l’art, alors l’art sautera dans la vie à pieds joints : pratiquement tous ces tableaux ont été déplacés de l’atelier du peintre vers l’extérieur, tous ont nécessité une intervention dans un lieu spécialisé. Broderie, marqueterie, dessin réalisé par ordinateur, maquillage, silicone, tissu d’ameublement, etc., autant de techniques et de matériaux étrangers à la peinture et convoqués ici pour la renouveler. Une véritable débauche : il y a le tableau qui scintille et que l’on a envie de lécher, celui dont on se parerait bien du tissu, cet autre qui rappelle la tapisserie orientale, puis celui dont on est tenté de caresser le bois de marqueterie de mauvaise qualité, enfin cette peinture acajou qui est si vernie qu’elle nous reflète pour mieux nous flatter. C’est le bal de la peinture dans lequel Pascal Pinaud réinstaure la sensation de plaisir à regarder et à posséder la pièce.


III. La galerie des glaces ou le triomphe de la série :

On n’est pas un bon peintre si on ne fait pas de série, voilà basiquement ce que l’on répète aux étudiants en art durant cinq années. La série que Pascal Pinaud développe pour l’occasion est celle des Accidents, autrement dit un lieu de ratage : des monochromes beaux comme des camions, hélas, rayés. La pièce d’à côté, c’est aussi la pièce à côté de la plaque. Les Accidents et les Actes de vandalisme sont des peintures somptueuses, réalisées industriellement chez un carrossier, sur un support en tôle automobile, et auxquelles l’artiste fait subir une éraflure plus ou moins grande. Pour réussir un Accident ou un Acte de vandalisme, il faut paradoxalement beaucoup d’adresse et pas mal de chance. Lorsque, par exemple, un Acte de vandalisme, est raté, il faut revernir le châssis métallique et recommencer le sabotage… Ces grandes fenêtres brillantes dont le verni outrancier, un rien kitsch, nous renvoie l’image du monde extérieur, sont à la fois une peinture du leurre et le leurre de la peinture. Un miroir qui met à distance la matière picturale et que Pascal Pinaud essaie de traverser, de déjouer à coup de presse. Dans la longue Galerie des Cyprès, pour la première fois, la sensation de déambuler dans un parking. On reconnaît, au fond, la voiture rose de Barbie, rayée avec une clé. Encore un coup de Ken… Un parking, donc, comme si les lieux de l’art, à la façon des garages, n’étaient plus que des endroits où l’on change des pièces. Alors galeriste ou garagiste ? Comme si les lieux de l’art étaient devenus trop petits et étrangers au monde. Garagiste !

Épilogue :

L’art c’est la vie. À présent, on sait que la peinture l’est aussi.
Rideau.

Raconté par Catherine Macchi