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Photographies 1983-1989 : communiqué de presse

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Artiste(s) : Hubert Duprat

Galeries du Musée, Villa Arson, Nice
12 mai - 11 juin 1995

Vernissage le 11 mai à 18 heures


Le cabinet de curiosité est, comme le disait Pierre Borel, médecin de Castres (1649), « un microcosme ou un résumé de toutes les choses rares ». C’est un tableau du monde, lui-même susceptible de faire tableau, « illustrant de grandes catégories d’êtres et de choses, qui ensemble, épuisent l’univers : le sacré et le profane, le naturel et l’artificiel, l’animé et l’inanimé, le proche et le lointain », précise Krzysztof Pomian qui rapporte justement, quant à lui, la curiosité au désir et à la passion - en fonction de quoi la curiosité, reconnue coupable d’égarement, fut condamnée par l’Encyclopédie, qui en sauva cependant l’histoire naturelle : il nous en reste ces merveilles de la nature évoquées plus haut dans leur acception restreinte et laïque. « J’ai un fantasme de totalité et de densité maximum, dit Hubert Duprat. Le désir d’un travail encyclopédique, de recouper les champs. » Et s’il va de la Phrygane aux astrophotographies et aux cosmonautes flottant dans l’espace, en passant par le motif de l’atelier, c’est en un geste instaurateur, disposant les différentes occurrences de son œuvre - un geste pour ainsi dire élargi jusqu’aux étoiles. Ce balayage ample, ce « scanning » doit être compris comme une modalité revendiquée de l’énoncé artistique, plutôt que comme un scanning inconscient (cette perception guidée par le processus primaire qui selon Ehrenzweig qualifierait toute création). Chaque scansion de ce scanning est un monde : « entre le microcosme des larves et le macrocosme des étoiles il y a l’atelier qui est l’espace du moi agissant, écho et centre métrique du monde à la fois sujet et objet de représentation » (Duprat). Une telle volonté de « recouper les champs », une telle transversalité n’est pas par ailleurs sans rappeler les « sciences diagonales » et les « obliques » chères à Roger Caillois. Elle relie, me semble-t-il, Hubert Duprat au meilleur du courant surréaliste, là où il a su se tenir à distance des effets poétiques par trop faciles.

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« Je pousse le réel si loin que la fiction fait intrusion », déclare Duprat de son côté, indiquant par là une sorte de logique qui, du tératologique, en passant par l’esthétique du surréel, aboutit à une revendication de l’artifice. Dès lors le merveilleux n’est plus tant cette nature à découvrir, parcourue par les explications du pédagogue, que, selon la tradition même des mirabilia, une sorte d’anti-nature, étrange et inquiétante où se côtoient le tératologique naturel et l’artifice humain.

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En 1984, Hubert Duprat présentait pour la première fois le fourreau précieux de la Phrygane dans le cadre d’une exposition. La même année, « sans y voir aucun rapport », il poursuivait la réalisation de ses premières camera obscura. Comme si dans la contemporanéité de l’exploitation d’un phénomène allesthétique - à savoir l’induction de l’aspect cryptique de la Phrygane en ostentation sémantique - avec le début d’une série de travaux exploitant la projection naturelle renversée, obtenue au fond de l’atelier transformé en chambre noire, comme si sous cette contiguïté était supputé, par quelque obscure présomption, un lien entre les deux : un passage possible de la surface extérieure enveloppante et ostensive, à celle, intérieure, de la camera obscura, support de projection et métaphore de la représentation.

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À partir d’un carton, obturant le jour d’une vitre de son atelier, entaillé de minces fentes dessinant des courbes irrégulières plus ou moins concentriques, Hubert Duprat a obtenu une photographie au fond noir irradié de bleu nuit, où la lumière semble sourdre de l’épaisseur d’une matière hypothétique. Dupliquée et inversée, elle a servi de point de départ à une composition doublement symétrique. C’est la reprise transposée d’un procédé, décrit par Roger Caillois, qui « consiste à découper, dans leur épaisseur, des plaques de marbre ou de porphyre aux veines prometteuses ». Ensuite l’artisan ouvre la pierre pour ainsi dire, en rabattant les deux moitiés autour d’un axe, comme on ouvre un livre, de façon à créer une symétrie que ne fournit pas la nature. Il n’est intervenu, pour obtenir l’image cherchée, que par le seul ajout de cette symétrie.

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La chambre noire est une pièce close. L’image de la rue se projette sur cinq des six faces de la boîte ainsi formée et environne l’expérimentateur. La combinaison du cosmonaute est un « cocon sublime », une super-projection, l’hyperbole technologique du fourreau dérisoire de la Phrygane. Le ciel étoilé est une voûte… Chaque unité spatiale enveloppante correspond au point de vue unificateur d’une surface de projection, constitutif de l’image d’un monde dans son autonomie.

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L’atelier, selon une comparaison connue, est l’univers de l’artiste : il s’y meut à son aise, y rassemble ses modèles et accessoires ; il y reconstitue fictivement le monde ; il y crée son monde.

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Tous ces mondes annexés à un point de vue (soient-ils le monde du phénoménologue), toutes ces unités spatiales de projection, sont ronds et pleins comme un œuf. Et la chambre noire est un tel monde imaginaire - tout au moins dans la version qu’en a élaboré Hubert Duprat :
- L’image finale d’abord : Chacune des photographies représente, renversé, l’extérieur de l’atelier avec les toits et les façades des bâtiments bordant, sans doute, l’autre côté de la rue. Le ciel, d’un bleu marqué, occupe la partie inférieure. Le panneau ou le tissu qui recueille la projection est parfois visible ainsi que l’ombre de l’appareil.
- L’écran photographié varie : surface unie (le mur du fond), verre dépoli maintenu à la verticale, ou couverture de survie dorée (déjà évoquée plus haut).
- Le processus de fabrication enfin : la longue venue de l’image, sa perception se limitant à une gamme de gris pour l’expérimentateur, sa saisie incertaine par un temps de pose difficile à déterminer, l’alchimie du résultat avec ses couleurs et sa luminosité reconquises, jamais vu auparavant.

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Dans son résultat comme dans son expérience rapportée, la chambre noire de Hubert Duprat est une histoire de fascination. De l’observation au résultat, le saut constaté emporte l’adhésion émerveillée.

Christian Besson
Extraits tirés du catalogue Hubert Duprat, Hôtel des Arts, Fondation Nationale des arts, Paris ; galerie Jean-François Dumont, Bordeaux ; La Criée, Halle d’art contemporain, Rennes ; Villa Arson, Nice, 1991.