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Denis Castellas : communiqué de presse

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Artiste(s) : Denis Castellas

Galerie Carrée, Villa Arson, Nice
12 mai - 11 juin 1995

Vernissage le 11 mai à 18 heures


Ni gouttière, ni tuyau

Comme les vieux, je vais vers la jeunesse.
Vieux beau. J’ai jamais été très joli.
Sous les ponts la Seine, le pontage coronarien coulez jeunesse,
levée de corps on serre les dents
on desserre les trous.
Aux trous. À ceux qui les remplissent
et à ceux qui se vident.

Denis Castellas


Denis Castellas écrit par contiguïté : rien n’y résiste, ni les mots, ni le rythme, ni la rime, ni l’assonance, pas même la déclinaison syntaxique, encore moins la narration. Chaque mot, dans cette écriture étrangement tenue s’inquiète au moins un bref instant des enfants qu’il pourrait générer dans la conscience du lecteur, de l’expression qui pourrait naître, aimantée tout à coup par le désordre de l’expérience ou de la culture et qui poursuivrait le texte pour une autre raison, une isotopie qui s’imposerait parce qu’elle serait toujours mieux d’être pire que celle qui semblait promise à prévaloir, en tout cas moins probable. Denis Castellas poétise les versatilités qui le ramènent à sa même conscience du monde.
Et c’est ainsi précisément que Denis Castellas travaille et produit l’exposition, comme il écrit, en changeant d’idée chaque fois qu’une idée menace de s’imposer, en s’expatriant sans cesse de toute harmonie, qui lui semblerait aussitôt mentir quant à l’irrécusable absurdité du réel. Car c’est bien de lui qu’il s’agit, du réel, et de la possibilité d’y trouver encore les ressorts d’une émotion esthétique, quand on revient de tous les champs de bataille de la représentation et de la représentation même de toutes les somptuosités de la matière artistique.
Chaque élément de l’exposition est ici minutieusement en situation de résistance : pris isolément, il affirme d’abord son pouvoir d’étrangeté ; lié à l’ensemble de l’installation, sa capacité à remettre en cause cette dernière, à déranger le désordre. Chaque élément de l’exposition est paradoxalement convoqué pour sa propension à s’intégrer à un pluriel encore improbable et conservé pour son aptitude à résister à cette intégration, à faire apparaître sous le contrat social la misère du social et la misère du contrat, le refus de tout autre compromis pour un esprit qui a courageusement aboli les frontières entre métaphysique et politique, éthique et société.
Il s’agit d’un univers où la catastrophe est si évidemment anticipée qu’on ne peut plus savoir si elle est ou non là ou derrière nous. Il s’agit dans cet univers de la persistance du réel non pas insaisissable derrière la douleur, le désespoir, la solitude ou le pire, mais du réel lisible encore, de la vie par conséquent, de ce qui en persiste dans la douleur même, dans le désespoir, dans la solitude ou dans le pire. Il s’agit du réel gelé dans les paillettes de la résine, mais aussi du tube où la voix se tait au profit de l’image qui le ceint, du crâne qui se fond dans le casque, de cette étonnante boîte faussement industrielle, ni ouverte, ni fermée, ni gouttière, ni tuyau, ni assemblable vraiment, ni dissemblable et où les oiseaux, comme les cimes et les gens échappent et se conservent à la fois à notre mémoire.
C’est une exposition dont le propos pourrait être l’altitude, non pas exprimée par ses quantités et ses mesures, mais par sa qualité ontologique d’être si peu que ce soit au-dessus du sol, et où le vertige, parce qu’aussi le risque et la valeur artistiques, serait justement qu’elle le soit très peu : ce très vieux et très passionnant débat de l’art et de la vie justement. « Justement » parce que l’artiste s’ingénierait à y produire la justesse et à travers elle le jugement, le courage aujourd’hui de revendiquer la sensibilité.

Jean-Philippe Vienne