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Contributions anarchistes 1962-1994 : communiqué de presse

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Artiste(s) : Siah Armajani

Villa Arson, Nice
3 juillet - 2 octobre 1994

Vernissage le 2 juillet à 18 heures


L’exposition Siah Armajani : Contributions anarchistes 1962-1994 constitue la première rétrospective française de cet « artiste-citoyen » qui interroge la nature et la fonction de l’art dans l’espace public. Au travers de propositions plastiques à la croisée de la sculpture et de l’architecture, Siah Armajani jette un pont entre philosophie et politique, art et littérature, démocratie et anarchie, affirmant ainsi la nécessité d’un art utile dans la cité.
Le 22 janvier 1986, dans une conversation publique tenue au San Francisco Museum of Art avec l’architecte Cesar Pelli, Siah Armajani soulignait son adhésion au principe heideggerien sur l’utilité de l’art. Récusant toute forme d’héroïsme chez l’artiste, il définissait les principes de l’art public en ces termes : « (...) Le principal objectif de l’art public est de démystifier le concept de créativité. Notre intention est de devenir à nouveau citoyen. Nous ne sommes pas intéressés par le mythe qui s’est créé autour des artistes et par les artistes. Pour nous, importent le but, le programme et le travail en soi. C’est à travers des actions concrètes dans des situations concrètes que l’art public a acquis sa réputation. Une de nos convictions fondamentales est que l’art public n’est pas monumental. Il est humble, commun et proche des gens. Dans une démocratie, il est erroné de célébrer avec des monuments ».
Intimement nourri de la pensée individualiste des fondateurs du Nouveau Monde, cet Américain d’adoption conçoit l’espace public comme un lieu communautaire dans lequel il convie le regardeur non-initié à une expérience capable de traduire les idéaux démocratiques de la société. Les gestes simples d’Armajani - favoriser le rassemblement ou le retrait - relèvent d’une forme d’anarchisme non violent qui tend à situer l’individu sur un plan d’égalité avec le pouvoir et qui prend ses sources dans la constitution américaine. L’intérêt d’Armajani pour l’individu au sein de la collectivité s’incarne dans les citations de Dewey, Emerson, Frost, Kahn, Melville ou Whitman qui figurent sur ses réalisations. Les extraits de prose ou de poésie nous rappellent que la lecture est une des conditions de légalité entre les hommes. Mais c’est dans les Reading Spaces (1977), chambres ou jardins privilégiant aussi bien la lecture publique que la lecture privée, qu’Armajani donne à cette idée toute sa prégnance. Son travail s’attache ainsi à résoudre le conflit apparent entre anarchie et démocratie.
Né en Iran en 1939, Siah Armajani arrive aux États-Unis en 1960 pour y faire des études de philosophie et de mathématiques, tout en gardant à l’esprit la volonté de mener à bien sa vocation artistique. En Iran, il avait déjà étudié la peinture et la calligraphie. Au Macalester College de St Paul, haut lieu du populisme, il fait la découverte décisive de la philosophie transcendantaliste d’Emerson. C’est de cette époque que remontent ses premières peintures calligraphiques recouvertes de poèmes persans. En 1968, il entre en tant que professeur au College of Art and Design de Minneapolis où il rencontre Barry Le Va qui le familiarise avec le milieu de l’art contemporain américain. La même année, il est appelé à restructurer le centre de la petite ville de Jackson dans le Minnesota qui cherche à retrouver un nouvel élan économique. C’est le début d’un travail de quatre années avec les habitants et les autorités de la ville. Pour résoudre le problème de l’exode rural, Armajani se propose de rendre à ce quartier son aspect original en restaurant les habitations du XIXe siècle. En même temps que cette restauration s’avère être la solution la plus économique, elle amène l’artiste à perfectionner sa connaissance des origines de l’architecture américaine.
Le projet de proximité avec le public de ce « moderniste-populiste » est contenu dans les premiers travaux (1968-1969), ces ponts piétonniers (Bridges) et ces maisons semblables à des granges (Houses), directement issus de l’architecture vernaculaire américaine. D’un point de vue formel, les ponts présentent d’évidentes similitudes avec les ponts en bois couverts du siècle dernier et les premiers ponts de chemin de fer. Quant aux maisons, elles intègrent les archétypes formels de l’architecture rurale et industrielle des années trente, familiers de la peinture précisionniste de Demuth ou Sheeler, ainsi que les principes cubistes et constructivistes de décomposition des volumes. La référence au projet social constructiviste deviendra récurrente avec l’usage de la couleur qui sert à différencier les structures. Traités comme des sculptures, ces ponts et ces maisons sont souvent détachés de leur fonction première : le franchissement et l’abri. Dans les ponts, les expérimentations de déclivité du sol ou du plafond, la précarité du tablier, l’espacement des poutres, l’obstruction de l’entrée ou de la sortie et la scission en plusieurs parties, semblent jouer avec la peur atavique du passage. Il faut attendre 1983 pour que les NOAA Bridges enjambent l’eau, toutefois pour les lire, le public doit faire un aller-retour… Quant aux maisons à ciel ouvert, sans portes ni fenêtres, elles nient le besoin de protection. La mise à distance des principes utilitaires devait offrir au spectateur une expérience particulière qui le rendrait conscient de la situation dans laquelle il se trouvait. La volonté de communiquer avec le public étant sous-tendue par celle de donner à comprendre l’art contemporain.
Ce subtil principe de déconstruction des formes et des fonctions donne naissance, dès 1974, au Dictionary for Building qui réunit un répertoire d’environ 1000 maquettes composées de fragments architecturaux issus de l’architecture domestique. Ces modèles sont construits en vraie grandeur à partir de 1979. L’architecture devient sculpture en même temps que la sculpture devient architecture. La série des Elements (1985) est le prolongement du Dictionary for Building, mais alors que ce dernier présentait des structures linguistiques, les Elements, plus proches du mobilier, développent une notion d’autonomie à la manière d’un système algébrique.
Le retournement des conventions de construction trouve une application originale en 1979, à l’occasion des Jeux Olympiques de Lake Placid, dans la réalisation d’un espace de lecture. Armajani conçoit une Reading House aux allures modestes en partant de l’installation du mobilier sur le site. Puis l’observation de l’éclairage naturel décide de l’emplacement des fenêtres et des murs.
Les travaux suivants, Gazebos for Anarchists (1991), ces belvédères en hommage aux anarchistes américains procèdent de la même polysémie fonctionnelle, ce sont des structures hybrides entre la cage et le trône, entre la cellule de prison et le kiosque à musique.
Envisagée par Christian Bernard comme une réponse possible à la crise de l’art dans la cité, l’exposition de la Villa Arson s’emploie à confronter tous les aspects du travail d’Armajani sans privilégier une séquence au profit d’une autre. Les diverses séries qui dialoguent entre elles tout au long du parcours génèrent une réflexion sur le statut particulier qu’Armajani confère à l’œuvre d’art, en même temps qu’elles font apparaître l’espace imaginaire dans lequel s’élabore l’idée de l’artiste public. On remarque la présentation d’une série inédite à la forte dimension ludique dans sa modélisation, les Streets (1992), ces projets réalisés avec des meubles de poupée qui font coexister différentes proportions avec différentes perspectives à la manière des miniatures persanes. Enfin, l’attention se portera sur Last Sacco and Vanzetti Installation, expressément conçue pour cette exposition.
Avec le concours de la Délégation aux Arts Plastiques et de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Provence-Alpes-Côte d’Azur, la rétrospective a également donné lieu à un projet de commande publique pour l’aménagement du jardin de la Villa Arson qui deviendra ainsi la première réalisation permanente d’Armajani en Europe. Cette intervention, dont certaines pièces sont le travail du Mobilier National, bancs mobiles ou non, jarres, table de pique-nique avec lutrins et le projet d’une grande véranda convertit l’univers utopique des maquettes de l’artiste dans les dimensions de l’espace commun.

Catherine Macchi