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Sturtevant : communiqué de presse

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Artiste(s) : Sturtevant

Galeries du Musée, Galerie de la Villa, Villa Arson, Nice
6 février - 21 mars 1993

Vernissage le 5 février à 18 heures


Véritable précurseur de ce que les Américains, au seuil des années quatre-vingts, ont appelé Appropriation art, Elaine Sturtevant poursuit depuis sa première exposition personnelle à la galerie Bianchini de New York, en 1965, un inlassable travail de reproduction de peintures, de sculptures et d’installations d’artistes contemporains célèbres. Seule condition observée par cette copiste faussement minutieuse : que l’œuvre d’art dont elle restitue le double soit immédiatement identifiable par un très large public. Aussi ses choix se portent-ils sur des figures emblématiques de l’art du XXe siècle telles que Duchamp, Johns, Warhol, Beuys ou Stella.
Parler de l’œuvre de Sturtevant revient paradoxalement à rappeler tout ce qu’il n’est pas. Ainsi, contrairement à celui des appropriationnistes, son travail ne se soucie pas de rendre hommage ou de démystifier, voire de commenter la production artistique actuelle, de même qu’il n’entre aucunement dans le propos de l’artiste de signifier la mort de l’art, l’activité de plagiaire n’étant pas envisagée comme une limitation à sa propre créativité ni comme une inévitable « rupture1 » nihiliste. En effet, cette imitation fidèle de l’œuvre qui recourt aux mêmes techniques d’élaboration que l’original et pousse parfois le zèle jusqu’à comporter la participation de son créateur initial (ce fut le cas pour Warhol, Lichtenstein ou Stella) est en réalité un travail chargé d’émotion, un pari où le fait de surmonter les difficultés techniques rencontrées renouvelle chaque fois la sensation de plaisir.
Dans le domaine de l’histoire de l’art, la copie semble bien posséder deux statuts opposés : noble exercice, elle est avant tout le passage obligé à l’apprentissage du dessin et de la peinture pour chaque artiste en devenir, mais elle est aussi paradoxalement synonyme de simulacre puisqu’elle génère le faux. À la manière du faussaire, Sturtevant subtilise la « propriété nominale2 » de l’œuvre et, débarrassée de toute subjectivité, elle renouvelle le déstabilisant constat magritten (Ceci n’est pas une pipe) ouvrant ainsi la voie à l’interchangeabilité de l’acte créateur.
Les présupposés de la démarche de Sturtevant reviennent comme un leitmotiv au fil de ses déclarations : selon elle, d’un point de vue esthétique, les deux pôles fondamentaux de l’art ont été représentés successivement par l’expressionnisme abstrait (un travail en profondeur), puis par le pop art (un travail en surface), à partir de là son enquête ne peut se situer qu’au-delà de toute préoccupation formelle. La seule idée de nouveauté stylistique lui paraissant une limite, elle se propose alors d’investir des champs de recherche beaucoup plus étendus en prétendant travailler à l’infrastructure de l’œuvre.
Si Sturtevant brise le tabou de l’œuvre unique, c’est pour démanteler les rapports erronés que nous entretenons avec l’art. Ôter l’étiquette d’un tableau ne relève pas d’un geste dada, mais revient plutôt, - dans la volonté de ne pas réduire l’œuvre à un simple procédé d’identification : ceci est un Warhol, ceci est un Beuys, etc. - à affirmer la force et l’autonomie de l’originalité de l’œuvre en soi. Pour ce faire, Sturtevant reproduit les conditions de création de l’original en essayant de capter l’instant créateur dans ce qu’il a de magique : resituer l’art dans son présent, sa contemporanéité. En d’autres termes son activité pourrait se définir comme la mise en scène du présent propre à chaque œuvre d’art, incarnée par un acteur (l’artiste quel qu’il soit), sur la base d’un scénario sans équivoque (l’œuvre).
En posant la question de l’origine et de l’originalité, Sturtevant crée un nouvel espace pour une nouvelle pensée, aboutissant de la sorte à une vision totalisante de l’art. La copie de Sturtevant apparaît donc comme une investigation au sein même de l’œuvre sur le réseau complexe de relations possibles entre l’artefact, son créateur et le regardeur. Le fac-similé peut alors sérieusement être entrevu comme une quête ontologique de l’art.
La Villa Arson consacre à cette artiste, souvent controversée et incomprise, le troisième volet d’une première rétrospective dont le premier et le deuxième acte se sont joués respectivement au Württembergischer Kunstverein de Stuttgart et aux Deichtorhallen de Hambourg.

Catherine Macchi

Notes :

1. Entretien avec Bill Arning, catalogue d’exposition Sturtevant, Stuttgart : Württembergisher Kunstverein du 25 juin au 2 août 1992 ; Hambourg : Deichtorhallen du 18 août au 27 septembre 1992 ; Nice Villa Arson du 5 février au 21 mars 1993, p. 9.

2. Frank Perrin, ibid., p. 23-25.